Entrevue avec Me Céline Vallières, pionnière en médiation, avocate, auteure et conférencière.

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Céline_VallieresElle est une pionnière dans le domaine de la médiation au Québec. Elle a parmi sa clientèle plusieurs des institutions les plus importantes de la province. Elle est conférencière et formatrice en médiation pour le Barreau du Québec. En plus d’être médiatrice, avocate, conférencière et formatrice, elle est aussi auteure. C’est bien elle qui est derrière l’ouvrage : “L’avocate qui rêvait de justice.”  Sa phrase préférée : “Susciter plus de paix dans les rapports humains en incitant à la bienveillance et au respect.” Dans le cadre de cette grande entrevue accordée au portail Jurizone.com, Me Céline Vallières nous explique les avantages de la médiation, une profession de plus en plus encouragée au Québec et dont l’avenir se présente prometteur dans le domaine juridique et ce, pour le bien de la population. Entrevue avec une visionnaire ayant eu la passion de la résolution des conflits par la médiation…il y a 25 ans !

Jurizone : Me Vallières, vous êtes une pionnière dans le domaine de la médiation, soit depuis plus de 20 ans. Qu’est-ce qui vous avait mené vers ce choix et comment y avez-vous vu un avenir?

Me Céline Vallières : Il y a 25 ans, j’ai fait une maîtrise en droit économique et financier à l’Université Laval età ce moment j’ai rencontré le professeur Nabil Antaki qui avait fondé le Centre d’arbitrage commercial national et international du Québec. Nous nous sommes liés d’amitié et j’ai commencé à travailler avec lui dans ce Centre. Monsieur Antaki a été un véritable précurseur dans ce domaine et sa vision m’a influencée. À la fois, je voyais aussi très bien que le système judiciaire créait beaucoup d’insatisfaction au sein de la population. J’avais pratiqué 3 ans en tant qu’avocate en litige et cette voie n’était pas non plus satisfaisante pour moi. Je croyais qu’on pouvait faire mieux et nous disions au Centre que la médiation était la voie de l’avenir. Ma rencontre avec monsieur Antaki fut déterminante dans le choix de ce qui allait être ma voie.

Jurizone : Vous utilisez souvent la phrase suivante : « Susciter plus de paix dans les rapports humains en incitant à la bienveillance et au respect. » Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Me Céline Vallières : Au fil du temps, et en faisant une profonde introspection, j’ai réalisé qu’un besoin de paix m’habitait dès mon plus jeune âge. Je suis née de parents qui vivaient des conflits et dont j’étais un témoin impuissant. Cela m’a vraiment marquée. Puis je me suis formée dans le domaine de la communication non violente selon l’approche de Marshall B. Rosenberg qui prétendait que la bienveillance était la nature profonde de l’être humain. Cela m’a questionnée et j’ai poussé la recherche plus loin par des lectures en philosophie, dans diverses religions et dans la neuroscience pour être convaincue que c’était bien le cas. L’être humain a une nature bienveillante malheureusement détournée soit par des conditionnements ou par sa propre souffrance. Rosenberg propose une voie pour permettre aux humains de retrouver plus de bienveillance et cela a teinté mon enseignement et mes intérêts pour la communication, la négociation, la médiation et la gestion de conflit. J’ai vu à plusieurs occasions des protagonistes s’ouvrir l’un à l’autre, à partir du moment où il se sentait entendu et compris dans le respect. Les carapaces tombent et l’humanité de chacun est rejointe et par conséquent sa bienveillance.

La médiation est un moyen qui vise à trouver la paix et celle-ci n’est possible que si on peut dialoguer dans le respect. Et à partir de là, parfois on arrive à une forme de bienveillance qui est toujours touchante. Pour moi, les concepts de paix, de bienveillance et de respect sont interliés.

Jurizone :  On entend beaucoup parler des difficultés d’accès à la justice. Comment la médiation peut-elle agir comme « remède » ?

Me Céline Vallières : Avant tout, il faut s’entendre sur le mot justice. Le problème vécu au Québec, comme dans plusieurs sociétés démocratiques, c’est l’accessibilité au système judiciaire. Il est convenu que le citoyen qui a un salaire moyen est incapable de financer une poursuite devant les tribunaux. La durée du processus est longue, les expertises sont dispendieuses, les frais judiciaires ont augmentés et les honoraires des avocats peuvent devenir effrayants pour le petit citoyen. Il n’a pas les moyens, alors il se désiste ou tente de se représenter lui-même. Ajouter à cela qu’un jugement peut s’avérer parfois bien décevant même pour le gagnant qui ne vit pas de sentiment de justice, mais plutôt le contraire. Le juge ne dit pas nécessairement la justice, il rend une décision en droit et cela il ne faut pas l’oublier. La justice publique est tranchante et elle créée un gagnant et un perdant.

La médiation permet de réduire la durée, elle est plus rapide parce que moins formaliste. Les médiateurs sont, pour la plupart des professionnels en pratique privée, qui peuvent offrir le service à l’intérieur d’un mois. La préparation pour faire une médiation est quasi inexistante si on compare avec le temps que doit prendre un avocat pour préparer un procès. Il m’est arrivé de régler des litiges après 3 heures de discussion, nous sommes très loin de 2 à 3 jours de procès sinon plus. Aussi, parce que la médiation peut arriver assez tôt dans le processus, parfois, on évitera d’avoir à faire réaliser des expertises. Ce qui dans certains cas peut éliminer des frais importants. J’ai déjà agi dans un dossier où il y avait déjà beaucoup d’expertises au dossier et on annonçait 1 mois de procès. La médiation a duré 8 heures, aucun expert n’a témoigné et le procès a été évité, car nous avons trouvé une solution mutuellement acceptable.

Imaginez les économies de temps, de stress et d’énergie ! En plus, les deux parties ont trouvé que l’entente répondait à un sentiment de justice. Je ne dirais pas que la médiation est un remède, je dirais qu’elle élargit l’offre de service dans le système judiciaire. Avant la modification du Code de procédure civile, le procès était la destination unique et finale, maintenant le législateur oblige à considérer la médiation avant d’entreprendre toutes procédures. On a reconnu que la médiation offrait une forme de justice privée tout aussi valable que la justice publique rendue par les juges. Parfois, la médiation sera la voie à suivre et elle sera satisfaisante, mais parfois non, car elle n’est pas non plus une panacée et le système judiciaire se doit d’exister et de devenir de plus en plus accessible.

Jurizone : Pensez-vous qu’il y a encore de la résistance à cet égard (par rapport à la médiation) ?

Me Céline Vallières :  Oui, je crois qu’il y une forme de résistance de la part de certains acteurs du système et de certains citoyens.

Jurizone : Pourquoi ?

Me Céline Vallières : J’ai l’impression qu’il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur la médiation et que maintenant qu’il existe de plus en plus de médiateurs, de types de médiation ou de mécanisme qui s’y apparentent ; une certaine confusion règne. Pour certains avocats, la négociation entre eux remplace la médiation, ils ne voient pas de plus value à la présence d’un médiateur. Les avocats ne s’y retrouvent plus, encore moins le citoyen qui ne sait même pas que la médiation existe. J’exagère à peine.

Par ailleurs, on souhaite un changement de culture judiciaire alors que les avocats ont axé leurs pratiques sur le litige, ceci n’est pas évident comme virage. N’oublions pas que les facultés de droit forment depuis des centaines d’années des plaideurs, pas des médiateurs. Ceci est aussi inscrit profondément dans « les gènes » de la profession.

Jurizone :  On constate que le Barreau du Québec fait de plus en place à la médiation, voire l’encourage. Il en est de même pour certains juges. Comment voyez-vous l’avenir de cette profession ?

Me Céline Vallières : Je pense que la profession doit changer de visage, car elle a perdu beaucoup de crédibilité auprès des citoyens qui ne font plus assez confiance aux avocats. En même temps, nous vivons dans une société de droits et ceci est merveilleux et à la base d’une société démocratique. Nous avons besoin des plaideurs pour débattre les grandes questions de droits et pour défendre ceux qui ne peuvent pas faire de la médiation, car celle-ci n’est pas pour tout le monde non plus. Toutefois, l’avocat doit maintenant considérer l’offre de justice plus élargie et la médiation en fait partie. Le code de déontologie le prévoit expressément à l’article 42. On lui demande de la considérer en toute bonne foi et de bien la présenter à son client.

L’avocat a sa place dans le processus de médiation et il peut préparer des stratégies de négociation, accompagner son client et l’informer sur ses droits, le coacher, rédiger ou voir à la conformité de l’entente. Quant à la profession de médiateur, et bien c’est une pratique en développement, beaucoup de personnes désirent obtenir des dossiers. Je dirais que pour l’instant, à tout le moins dans le privé, il n’y a pas suffisamment de dossiers pour répondre à l’offre de manière satisfaisante. Comme dans toutes professions en développement, les risques de dérapages et d’incompétences peuvent porter ombrage à la médiation. C’est une pratique qu’on apprend sur le terrain et qui nécessite du temps et de l’expérimentation.

La formation de base exigée présentement n’est que de 40 heures pour devenir médiateur accrédité et cela me semble insuffisant. Il n’y pas de formation continue obligatoire non plus et cela m’inquiète. Bref, je sais que le Ministère de la Justice désire resserrer les critères et je suis pour cette solution.

Jurizone : Comment la profession d’avocat(e) et celle de médiateur-médiatrice peuvent-elles se compléter ?

Me Céline Vallières : Les avocats sont bien placés pour devenir des médiateurs, cela ajoute une belle corde à leur arc. Ils connaissent les droits, le système judiciaire, ils sont habitués à naviguer dans le conflit et à supporter l’expression d’émotions fortes. Si dans certains cas, ils ne peuvent agir directement comme médiateur, ils peuvent bien accompagner leur client et les coacher dans l’expression des besoins et intérêts et évaluer la valeur des ententes.

Jurizone : Pensez-vous que l’une met en péril l’autre ?

Me Céline Vallières : Non pas du tout. Chacun a sa place et son carré de sable. Comme médiatrice, il m’arrive souvent de référer des clients à des avocats, car je ne les trouve pas suffisamment informés et que je souhaite qu’ils arrivent à des ententes libres et éclairées.

Certains collègues me réfèrent comme médiatrice, car ils me font confiance. Ils savent bien que je vais respecter leur carré de sable et que je vais les inviter à faire partie de la médiation d’une manière ou d’une autre.

Jurizone : En quoi la médiation est-elle utile pour M. et Mme tout le monde ?

Me Céline Vallières : Elle permet des économies de coûts, de temps, elle ménage leur stress et leur santé et elle assure une prévisibilité sur les résultats, car ce sont eux qui décident des meilleures solutions ensemble. Ultimement et c’est ce qui est vraiment intéressant, quand chacun peut repartir de la médiation avec un sentiment de justice, si le médiateur réussi bien sa médiation.

Jurizone : Parlez-nous d’un cas de médiation et sur quoi cela repose pour les individus ?

Me Céline Vallières : La médiation est confidentielle et le médiateur ne peut dévoiler des informations que dans le cadre d’enseignement. Mais je peux vous donner certains exemples de litige où je suis intervenue comme médiatrice : vices cachés, responsabilité civile et médicale, problème entre mandataires responsables des biens de leur parent, conflit entre copropriétaires, réclamation d’honoraires, harcèlement psychologique, conflit interpersonnel au travail, divorce, séparation, garde d’enfant, patrimoine familial, pension alimentaire pour enfant ou entre conjoint, etc.

Jurizone : On constate que les émotions et les besoins sont pour beaucoup dans les conflits. Comment avez-vous vu ces notions à travers votre expérience ?

Me Céline Vallières : Je crois que les émotions, la souffrance humaine et les besoins insatisfaits provoquent la plupart des conflits. Bien sûr, il y a un problème et un élément déclencheur, mais dans certains cas le même problème ne causera aucune vague dans une équipe de travail par exemple alors que dans l’autre cela deviendra une cause de tensions et de conflits.

Le jeu des émotions et des besoins, je l’ai d’abord vécu personnellement à travers mes propres expériences comme enfant, mère, professionnelle, conjointe, collègue, associée etc. Je dis souvent aux médiateurs en apprentissage : « Commencez par être votre propre laboratoire humain. Examinez-vous dans vos différentes situations de vie, nous vivons tous un jour ou l’autre des tensions, des irritants, des frustrations avec nos proches ou nos collègues de travail ». Quelle belle occasion de comprendre à partir de soi, ce que cela signifie vivre des besoins insatisfaits et d’apprendre à reconnaître et gérer ses propres émotions.

Par ailleurs, je pratique, entre autres, la médiation familiale depuis le début de ma carrière comme médiatrice en pratique privée. Dans ce type de conflit, les émotions sont souvent intenses et je dois avouer qu’il s’agit d’une excellente école pour apprendre à gérer les émotions et les besoins en médiation.

Jurizone : Vous êtes formatrice en médiation pour le Barreau du Québec, avez-vous une constatation quelconque à partager, notamment le profil des avocats, la tendance, les perceptions, l’avenir ?

Me Céline Vallières : Les avocats qui viennent à cette formation sont évidemment intéressés et volontaires, car elle dure 40 heures et demande un investissement en temps et en argent.

Ce qui surprend les avocats c’est qu’il y a beaucoup plus de psychologie et de stratégies qu’ils croyaient dans la médiation. Certains trouvent difficile d’adopter la posture de neutralité du médiateur, car ils sont habitués à prendre position et à défendre un point de vue. Pour d’autres la gestion des émotions fortes pose des défis importants. Plusieurs me confirment qu’ils croyaient que c’était facile de faire de la médiation, mais après la troisième journée et des exercices en jeu de rôles, ils réalisent que c’est plus complexe qu’ils ne le croyaient.

J’ai des avocats de tous les horizons, de toute nationalité et de tout âge qui viennent à cette formation, il est impossible d’en sortir un profil type. J’ai déjà eu un jeune avocat qui m’a demandé de finir plus tôt, car il devait se rendre à son assermentation et une

avocate de 75 ans qui voulaient venir en aide aux aînés. Récemment trois avocats québécois, mais originaires du Cameroun, ont suivi la formation et ils se demandaient comment ils pourraient faire valoir cette approche dans leur pays.

Une chose est sûre, c’est que tous croient qu’il y a moyen de trouver des solutions sans passer par des procès.

Jurizone : Vous êtes également auteure, pouvez-vous nous parler de vos ouvrages ?

Me Céline Vallières : J’aime exprimer ma créativité par les écrits. Mon premier roman « L’avocate qui rêvait de justice » m’a nécessité dix ans d’efforts et il témoigne de ma recherche sur la justice, cette grande méconnue. Je voulais traiter de ce sujet à travers une histoire pour rendre les concepts accessibles aux citoyens. Je ne désirais pas écrire un essai. Il s’agit donc d’un roman à nature philosophique, intellectuel, avec un peu de spiritualité.

Mon deuxième roman : « Mes patrons se bagarrent ! Qui va gagner ? » est une petite plaquette facile et rapide à lire qui traite d’un conflit en entreprise, du jeu des émotions et des perceptions. Il a une valeur éducative certaine et je pense qu’il peut inciter au dialogue, à la tolérance et au respect.

Mon troisième ouvrage est un ebook « Réussir vos négociations : Guide de préparation » s’adresse à toutes personnes expertes ou non qui doit mener des négociations. Il s’agit de se poser 22 questions pour bien préparer sa négociation.

Aussi, j’écris régulièrement des chroniques que les gens peuvent lire à partir de mon site. Tous mes ouvrages sont disponibles à partir de mon site internet et les deux derniers sont disponibles en ebook.

Jurizone : Vous êtes aussi conférencière et avez parmi votre clientèle, des institutions très importantes au Québec. Comment les organisations peuvent profiter de vos connaissances ?

Me Céline Vallières : Simplement à communiquer directement avec moi. Je vois avec la personne responsable quels sont besoins de formation ou de conférence exactement et je m’ajuste. J’offre des conférences sur la communication, la gestion des conflits et la négociation.

J’ai ma toute dernière conférence qui se nomme « Améliorer les communications au travail » et dont je suis très fière.

Jurizone : Finalement, non seulement vous avez l’un des plus beaux sites web à notre avis (www.celinevallieres.com), mais vous utilisez activement la technologie pour partager vos connaissances. Comment voyez-vous l’avenir du droit à cet égard ?

Me Céline Vallières : Personnellement, je crois qu’il y a beaucoup d’avenir dans l’utilisation de la technologie pour transmettre les connaissances entre autres. Je travaille de plus en plus à élargir ma communauté sur les médias sociaux, dont ma page Facebook entreprise et ma page LinkedIn. J’ai deux de mes ouvrages qui sont disponibles par ebook et j’entrevois de lancer un important projet de formation en ligne au cours des prochains mois. Ce qui est merveilleux de la formation en ligne, c’est la flexibilité et la possibilité de rejoindre tous les gens de la francophonie mondiale.

(c) Jurizone, 2018