L’ère du plafond salarial dans la LNH. L’argent: nerf de la guerre.

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 Par Me Marianne Saroli, avocate.

Le 16 février 2005, la Ligne nationale de hockey (ci-après « LNH ») avait officiellement et pour la première fois en 86 années, annulé sa saison de hockey 2004-2005[i]. Le conflit de travail qui avait débuté le 15 septembre 2004 demeure encore à ce jour le plus long de l’histoire des sports professionnels. Économiquement parlant, les propriétaires des équipes ont estimé leurs pertes à près de 2 milliards de dollars et les joueurs ont dû, quant à eux, renoncer à près d’un milliard de dollars en salaire collectif[ii].  Le conflit de travail avait pour origine l’augmentation des salaires des joueurs, laquelle, selon la LNH, affectait l’équilibre concurrentiel du marché et conséquemment menaçait la stabilité financière de la ligue. Les débats entourant le plafond salarial ont été la cause même de l’annulation de la saison 2004-2005[iii]. La LNH prétendait que la seule façon de promouvoir la parité, de garantir une certaine équité et de maintenir une stabilité financière au sein de ses clubs était d’établir un plafond salarial à un pourcentage fixe des revenus de la ligue[iv].

Suivant le lockout de la saison 2004-2005, la LNH et l’Association des joueurs de la Ligue Nationale de Hockey (ci-après: « AJLNH ») ont signé une convention collective le 13 juillet 2005. Les dispositions les plus importantes concernent le partage des revenus et le plafond salarial, plus particulièrement que le revenu partageable doit fluctuer en fonction du revenu disponible de la ligue. Conformément à ladite convention, le plafond salarial est fixé à 54% des revenus lorsqu’ils sont évalués à moins de $2.2 milliards, de 55% pour des revenus entre $2.2 et $2.4 milliard, de 56% pour des revenus entre $2.4 et $2.7 milliards et de 57% pour des revenus de plus de $2.7 milliards[v].

Ladite convention expirera le 15 septembre prochain. En date de ce jour, les parties n’arrivent toujours pas à s’entendre sur la part des revenus de la ligue qui doit être attribué au salaire des joueurs. La LNH demande une diminution significative du plafond salarial, soit de 57 à 43 % des revenus de la ligue, ce que l’AJLNH conteste vigoureusement. Ce que la LNH veut en fait, c’est un mécanisme de plafond salarial similaire à celui établi par la NBA et la NFL.

Inévitablement, la relation entre les parties s’est envenimée lorsque la décision arbitrale impliquant le joueur russe Kovalchuk a été rendue en août 2010. Il importe de se rappeler que le 20 juillet 2010, la LNH avait annulé le contrat entre Kovalchuk et les Devils du New Jersey, prétextant que ledit contrat contrevenait au plafond salarial de la ligue tel qu’établi en vertu de la convention collective[vi]. Subséquemment, l’AJLNH avait formulé un grief au nom de Kovalchuk, lequel grief avait été entendu le 4 août 2010 devant l’arbitre Richard Bloch. Ledit contrat offrait $102 millions pour une durée de 17 années à l’attaquant russe. En fait, l’entente envisageait un salaire annuel moyen de $6 millions distribués sur 17 années, laquelle somme aurait été considérée à titre de plafond salarial pour chacune des années de son contrat. Somme toute, l’arbitre Bloch a donné raison à la LNH, concluant que ledit contrat contournait les restrictions du plafond salarial. Le contrat de Kovalchuk aurait été le plus long de l’histoire de la LNH et aurait payé au joueur russe 97% de la valeur totale de son contrat dans les 11 premières  années, soit $98,5 millions des $102 millions de l’entente[vii]. La LNH argumentait que les 6 dernières années dudit contrat n’étaient qu’illusoires et que ni les Devils, ni Kovalchuk ne prévoyaient honorer ces années de contrat.[viii].

Or, l’AJLNH prétextait qu’aucune clause spécifique à la présente convention collective n’interdisait la conclusion d’une entente aussi longue par laquelle 97% du salaire serait versé en 11 années à Kovalchuk. Bien que l’AJLNH n’avait pas complètement tort, l’arbitre Bloch ne pouvait ignorer que le plafond salarial constituait l’élément clé de la convention collective. S’il avait donné raison à l’AJLNH, il aurait certes mis en péril le principe de parité au sein de la ligue, sans oublier qu’il aurait nettement favorisé les équipes plus riches au détriment des équipes les plus pauvres de la ligue.

Vous comprendrez que cette décision arbitrale a eu un impact majeur sur le monde du hockey en ce que la légalité du contrat de Kovalchuk a été analysée à la lumière d’une convention lacunaire. La LNH s’est dotée d’un plafond salarial, mais les clauses y relatives ne comportent pas de limites en soi. La LNH se réserve cependant le droit de refuser un contrat s’il a pour but de détourner le plafond salarial. Suivant cette décision, plusieurs questions ont été soulevées quant à la conclusion de contrats qui avaient été préalablement signés et approuvés par la ligue, lesquels présentaient de fortes similarités avec celui de Kovalchuk. Pensons notamment aux contrats de Chris Pronger avec les Flyers de Philadelphie, de Marc Savard avec les Bruins de Boston,  de Roberto Luongo avec les Canuck de Vancouver et de Marian Hossa avec les Blackhawks de Chicago qui avaient tous fait l’objet d’une enquête par la ligue pour avoir potentiellement violé la convention collective. Par exemple, Luongo avait signé une entente avec les Canuck de 57 millions $ pour les huit premières années de son contrat et 7 millions $ lors des quatre dernières années[ix].

Le 4 septembre 2010, la ligue a finalement enregistré le contrat de Kovalchuk pour une valeur de $100 millions sur une période abrégée de 15 années. La ligue a également accepté de fermer l’enquête pour les contrats de Pronger, Savard, Luongo et Hossa à la condition que l’AJLNH approuve quelques amendements à la convention, soit que tout contrat de plus de 5 ans devrait être calculé différemment sur la masse salariale et ce, afin que le plafond salarial ne soit pas détourné avec des contrats allongés. Le problème est que même si la LNH impose un plafond salarial, les équipes les plus riches auront toujours la capacité de dépenser des sommes qui se rapprochent le plus du plafond salarial alors que les équipes les plus pauvres n’auront la capacité que de dépenser des sommes qui se rapprochent le plus du plancher salarial. Par conséquent, les équipes les plus riches pourront offrir des contrats plus lucratifs aux joueurs étoiles, ce qui augmente leurs chances de participation aux séries éliminatoires. De facto, les équipes avec les poches les plus remplies auront toujours un avantage sur le reste des équipes.

Pour ces raisons, une ligne doit être tracée pour éviter la confusion au sein de la ligue et ce, dans le but d’empêcher les abus potentiels des clubs et de leurs joueurs. La LNH et l’AJLNH se sont rencontrés mercredi et jeudi dernier pour faire un sprint final de négociations avant la date butoir du 15 septembre. Mais le niveau de cynisme est beaucoup trop élevé pour espérer un miracle d’ici samedi. Malgré le désarroi des partisans, il semble quasi-impossible à ce stade-ci que les parties trouvent un terrain d’entente. Si un lockout est devenu inévitable, sa durée, quant à elle, demeure incertaine. Mais tout laisse croire qu’il s’agira d’un long et pénible lockout. Bien que le 15 septembre soit la date limite pour signer une entente, ultimement c’est la date du 11 octobre qui est fatale, car elle marque le début de la saison régulière. Si le conflit de travail n’est pas réglé d’ici le 11 octobre, c’est à ce moment là que les dommages se feront réellement ressentir. Ce samedi à minuit, un troisième lockout depuis 1995 sera fort probablement enclenché. Il n’en demeure pas moins que le hockey est d’abord et avant tout une entreprise extrêmement lucrative, alors aussi bien s’entendre et obtenir la convention qui est la plus profitable pour les deux parties. D’ici là, que le meilleur gagne.



[i] Paul D. Staudohar, The hockey lockout of 2004–05, 128 MONTHLY LAB. REV. 23, 26 )2005) en ligne: http://www.bls.gov/opub/mlr/2005/12/art3full.pdf

[ii] Id.

[iii] Id.

[iv] Id.

[v] Elliot Patterson Succucci, Revisiting the NHL Collective Bargaining Agreement: Undermining the Spirit of the Cap, Implications to the Agent, and Prospective Remedies for the League’s Consideration, 19 Sports Law J. 145, 2012

[vi] Morgan Marcus, A delayed penalty: The implications of the Ilya Kovalchuk Arbitration decision on the National Hockey League, 45 J. Marshall L. Rev. 145 2011

[vii]  Id.

[viii] Id.

[ix] Id.

Tous droits réservés (c) Me Marianne Saroli, 2012

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