Entrevue avec Mme Marie-Eve Altur, directrice et fondatrice de Novea Recrutement.

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Marie_Eve_AlturElle est jeune et ambitieuse. Après avoir passé par des firmes d’avocats et de recrutement, elle a décidé de se lancer. Pari réussi ! Elle est maintenant à la tête d’une firme de recrutement spécialisée dans les domaines juridique, administratif et exécutif.  Dans cette entrevue accordée à Jurizone, Mme Marie-Eve Altur nous dévoile ce qui fait son succès tout en offrant aux internautes visiteurs du portail Jurizone quelques conseils bien précieux pour employeurs cherchant la “perle rare” et candidats en recherche d’emplois. Comment trouver et retenir la perle rare ? Que se passe-t-il avec le transfert de main d’oeuvre ? Quelle est l’importance de former les employés ? Qu’est-ce qui rend un candidat bien apprécié par un employeur ? Quel avenir pour le domaine juridique ? Voici certaines des questions pour lesquelles elle prend le temps de nous répondre en détail.

 

Jurizone: Mme Altur, qu’est-ce que Novea Recrutement ?

Marie-Eve Altur: Novea Recrutement est une firme de recrutement spécialisée en recrutement juridique, administratif et, depuis peu, exécutif.

Jurizone: Qu’est-ce qui la démarque des autres firmes de recrutement ?

Marie-Eve Altur: Plusieurs choses! Notamment, le type de clientèle que l’on cible, nos valeurs de qualité avant la quantité, notre approche beaucoup plus personnalisée et informelle avec les candidats et les clients, le temps que l’on prend pour faire du mentorat et conseiller, même les gens qu’on ne peut pas aider dans l’immédiat.

Les agences de recrutement en général ont beaucoup d’objectifs de placement afin de rentabiliser leurs coûts et faire des profits. Chez nous, il n’y a pas de compétition entre les recruteurs et tout le monde s’entraide. Cela permet donc d’enlever une certaine pression sur nos membres et nous n’avons pas la culture du « placement à tout prix ». Nous nous assurons de faire de bons jumelages, c’est tout. Le candidat est content, le client l’est aussi. De plus, nous n’hésitons pas à refuser des mandats lorsque nous sommes en conflits d’intérêt ou bien lorsque nous en avons trop sur les bras.

Étonnamment, les clients qui se font dire non le prennent très bien. Ils préfèrent qu’on travaille à 100% dans leurs mandats plutôt que de se faire dire qu’on y travaille, sans vraiment y mettre les efforts. L’accessibilité de nos recruteurs est également un facteur qui nous démarque. Nous acceptons souvent de rencontrer des gens (notamment des étudiants en droit ou des nouveaux arrivants) afin de leur faire faire une simulation d’entrevue et de les guider dans leurs recherches d’emploi. Les commentaires qu’ils reçoivent à la fin sont très directs et transparents – ils savent à quoi s’en tenir et sont beaucoup plus réalistes quant à leurs attentes par la suite.

Jurizone: Vous êtes la fondatrice de cette agence. Quel a été l’élément déclencheur pour vous lancer dans cette aventure ?

Marie-Eve Altur: J’ai eu la piqure du recrutement en étant le bras droit d’une femme extraordinaire qui est responsable du recrutement dans un grand cabinet d’avocats à Montréal (Nanci K. Ship de chez Davies Ward Phillips & Vineberg pour ne pas la nommer!). En continuant mon expérience en agence de recrutement, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’objectifs et peu de temps pour les relations humaines. J’ai adoré mon expérience en agence, et j’avais envie de créer ma propre niche et de redonner au suivant. Il y a beaucoup de compétition à l’interne pour les clients et les « meilleurs » candidats dans les différentes agences de recrutement. Chez Novea, nous n’avons pas cet esprit-là. Nous sommes vraiment une équipe et notre service en est que plus raffiné.

Jurizone: Vous êtes détentrice d’un certificat en droit et d’un diplôme professionnel d’adjointe administrative en milieu juridique avec une expérience au sein d’un cabinet national d’avocats et d’une grande firme de recrutement. Comment tout cela a pu vous aider dans le développement de votre entreprise ?

Marie-Eve Altur: Au tout début de ma carrière, j’ai travaillé à titre d’adjointe juridique auprès d’un tout petit cabinet d’avocats spécialisé en responsabilité civile et médicale. J’ai pris chacun des dossiers, un par un, pour les lire et y mettre de l’ordre. J’ai participé à la gestion financière de la compagnie en effectuant la facturation, les dépôts, les suivis des échéanciers, etc. J’ai rapidement maîtrisé la gestion plus administrative de la compagnie et cet aspect du travail m’a beaucoup plu. Travailler à titre d’adjointe m’a également donné une belle vue d’ensemble sur la pratique privée d’un avocat.

J’ai aussi pu comprendre les enjeux d’un avocat au quotidien et la pression d’offrir le meilleur service client. Mon certificat en droit était, pour moi, une porte d’entrée pour devenir avocate. Après avoir été acceptée à titre d’étudiante en droit de deuxième année à l’Université de Montréal, j’ai quitté mon emploi au sein de Davies (avec regret) afin de me concentrer sur mes études. Je ne suis pas une étudiante – j’ai toujours travaillé depuis que je suis très jeune et j’avais déjà eu la piqure du recrutement. Je savais que je ne voulais plus être avocate, mais recruteur.

Ayant définitivement une passion pour le domaine juridique, aller en agence allait de soi pour moi. Comme je l’ai mentionné, j’ai adoré mon expérience là-bas, mais j’avais envie de révolutionner un peu le milieu et ce n’est pas une chose qu’on peut facilement faire dans une entité nationale déjà très reconnue et établie sur le marché. Chacune des expériences que j’ai vécues m’a appris beaucoup de choses qui m’aident encore aujourd’hui au quotidien à être une meilleure professionnelle, recruteur, mentore, directrice et gestionnaire.

Jurizone: On entend parler de pénurie dans la main d’œuvre qualifiée pour les secteurs administratif, juridique et exécutif, des domaines dans lesquels agit votre firme. Qu’en est-il ?

Marie-Eve Altur: Il y a effectivement un manque de main d’œuvre, surtout au niveau juridique. À mon avis, je crois que les secteurs administratif et exécutif vont très bien (selon les mandats que j’ai en tout cas!). Au niveau juridique, il y a surtout un manque à combler pour des gens de 3 à 6 ans d’expérience. Cela est notamment dû au fait que plusieurs avocats ont délaissé la pratique privée pour faire le saut en entreprise, ou bien pour pratiquer le droit de manière non-conventionnelle (bureaux multidisciplinaires, enseignement, politique, ressources humaines, recrutement, etc.).

Il y a cependant beaucoup de jeunes qui n’attendent que ça, d’être formés. C’est important de prendre le temps de former nos jeunes si nous voulons assurer la relève. Malheureusement, certains cabinets ne prennent pas du tout de stagiaire et, deux ou trois ans plus tard, cherchent un avocat avec trois ans d’expérience pour leur équipe. Déplacer un avocat d’un cabinet à un autre entraine une réaction en chaîne et au final, un autre cabinet qui vient de se faire « voler » un avocat cherchera à le remplacer, sans succès.

Il y a une limite aux transferts latéraux qu’on peut faire et la seule solution est d’investir encore plus dans la formation des jeunes afin de ne pas se retrouver dans la même situation dans quelques années. « Oui, mais je ne veux pas former quelqu’un pendant deux ans pour qu’il quitte », me dit-on souvent. Je comprends. Mais si vous formez un stagiaire et qu’il quitte dans deux ans, et qu’un autre cabinet a formé un stagiaire pendant deux ans et qu’il veut quitter, nous pourrons approcher cette personne là pour combler le trou laissé par le premier avocat. C’est un échange. Lorsqu’on n’a plus de monnaie d’échange, il y a une pénurie.

Jurizone: Alors, quels conseils donnez-vous à des employeurs en recherche de la perle rare ?

Marie-Eve Altur: Trouver le profil parfait est quasi impossible. Les employeurs doivent faire preuve de flexibilité dans leurs critères de sélection. Ils doivent également faire une petite introspection. Parfois, nous avons déniché le fameux profil parfait, et lorsque contacté, la personne nous répond qu’elle n’est pas intéressée à se joindre à notre client. Pourquoi? Les employeurs veulent LA PERLE. Mais est-ce que LA PERLE a envie de travailler chez eux? Y a-t-il une belle atmosphère de travail, des conditions et avantages intéressants, une flexibilité d’horaire, un but commun, etc.? Les employeurs doivent faire cette réflexion-là. Aussi, il est possible de former quelqu’un pour qu’elle devienne cette fameuse perle rare au sein de votre équipe.

Jurizone: Et qu’en est-il du maintien de cette perle rare au sein de leur firme ?

Marie-Eve Altur: Comme je l’ai mentionné précédemment, il est important pour la firme de faire une certaine introspection afin d’augmenter le taux de rétention.

Faire une entrevue de départ, et demander aux employés pourquoi ils quittent, peut aider à mettre sur pied un plan de rétention. C’est bien connu que tous les cabinets en pratique privée offrent plus ou moins les mêmes conditions de travail. « Oui, mais chez nous il n’y a pas d’heures facturables », d’accord, mais vous vous attendez tout de même à ce que l’avocat junior soit au bureau 12 heures par jour. « Oui, mais chez nous c’est la politique de la porte ouverte et les avocats sont impliqués en profondeur dans les dossiers », d’accord, mais mes six autres cabinets m’ont dit exactement ça, et il y a quand même des gens qui quittent.

C’est important de prôner l’esprit d’équipe à l’interne et d’offrir des conditions de travail intéressantes et adaptées au marché de l’emploi. Diversifiez vos systèmes de rémunération, abolissez les heures facturables impossibles, créez de vrais liens avec vos gens ainsi qu’un sentiment d’appartenance réciproque, et prenez en compte les objectifs professionnels de chacun des candidats – vous serez surpris de constater que chaque humain est différent! Certains cabinets ont du chemin à faire, d’autres sont déjà bien avancés dans la modernisation.

Dans tous les cas, vous ne pourrez pas empêcher les gens d’aller voir ailleurs à un moment donné, ne serait-ce que parce qu’ils ont envie de connaitre autre chose. S’il y a une chose que je retiens de mon expérience personnelle en matière de gestionnaire de bureau, c’est que les gens arrivent et ils peuvent partir à tout moment pour une panoplie de raisons. Faites votre possible pour retenir vos talents, mais ne soyez pas rancunier lorsque quelqu’un quitte pour entreprendre d’autres défis – ce sont simplement des choses normales.

Jurizone: Quels conseils donnez-vous à des candidats potentiels ? 

Marie-Eve Altur: Premièrement, les conseils de base : avoir un bon CV épuré et sans faute d’orthographe, une belle lettre de présentation claire et concise d’une page, se présenter en entrevue de manière professionnelle et s’exprimer de manière articulée.

Pour le reste, je conseille habituellement au candidat d’être transparent, réaliste et conscient. Transparent dans son attitude – nous le voyons rapidement lorsqu’une personne a quelque chose à cacher. Réaliste sur ses propres capacités et sur le marché dont il fait partie. J’ai parfois des candidats qui me disent, par exemple, qu’ils sont capables de mener des transactions de A à Z, mais lorsque questionnés plus en profondeur sur ce sujet, on se rend compte qu’ils ont mené de front seulement de petites transactions de milliers de dollars et souvent sous la supervision d’un avocat sénior. Nous sommes donc loin d’une transaction complexe qui comprend des aspects internationaux. Et conscient que le marché n’est pas facile, et que la personnalité joue pour beaucoup dans la sélection d’un nouvel employé. Si vous avez des valeurs qui sont opposées au cabinet pour lequel vous passez en entrevue, je me demande ce que vous faites là.

Jurizone: Y a-t-il des conseils particuliers à donner aux jeunes professionnels pour leur CV ou leur lettre de présentation afin de mieux paraître auprès des employeurs ?

Marie-Eve Altur: Restez concis, révisez-vous (les fautes sont impardonnables dans un CV ou une lettre de présentation), ciblez bien les attentes du cabinet ou de l’entreprise, adressez votre lettre de présentation à la bonne personne (!), tenez-vous en à deux pages pour votre CV et une page pour la lettre de présentation, évitez le formatage inutile (pas trop de gras et d’italique, et ne mettez pas de couleur), n’inscrivez pas d’information discriminatoire (âge, sexe, genre, situation civile, nationalité, etc.) sur votre CV et ne mettez pas de photo non plus. Ce sont là les critères généraux d’un bon dossier de candidature.

Jurizone: Est-il arrivé que des candidats ont refusé d’embarquer avec certains employeurs pour des raisons en particulier? 

Marie-Eve Altur: Bien sûr! Cela peut arriver pour une multitude de facteurs. En tant qu’intermédiaire entre le candidat et le client, nous tentons de prévoir le mieux possible cette éventualité, mais nous n’avons parfois pas toute l’information. Le candidat peut avoir des doutes envers l’employeur, par exemple s’il apprend qu’une restructuration a récemment eu lieu, il peut décider de refuser une offre par crainte d’instabilité. Il peut également ne pas sentir de « fit » de son côté ou bien ne pas avoir aimé son contact avec l’équipe. S’il n’aime pas la structure interne, les valeurs de l’entreprise et la mission de celle-ci, ce sont toutes des raisons pour lesquelles il pourrait se retirer du processus.

Jurizone: Avez-vous des exemples de candidats qui vous ont marqué et qui ont marqué les employeurs ? 

Marie-Eve Altur: Confidentialité oblige, je ne répondrai pas à cette question de manière précise! Cela dit, les gens cultivés, intéressants à jaser, qui ont une belle connaissance de soi et une intelligence émotionnelle développée, avec une attitude agréable et ouverte, sont généralement ceux qui retiennent le plus l’attention des employeurs.

Jurizone: Comment voyez-vous l’avenir des cabinets d’avocats et de l’attractivité et la rétention des jeunes professionnels ?

Marie-Eve Altur: Selon moi, je crois que les cabinets d’avocats doivent se moderniser un peu. C’est bien connu, le domaine juridique évolue moins vite que la société et la nouvelle génération n’a plus les mêmes valeurs qu’auparavant.

On prône maintenant l’équilibre à tous les niveaux de la vie professionnelle et personnelle, et selon moi, les cabinets doivent faire preuve de davantage de flexibilité pour retenir les talents au sein de l’équipe. Il y a toujours eu, et il y a encore, un grand attrait pour le domaine juridique auprès des jeunes.

Cela dit, ces derniers font souvent quelques années en cabinet avant de se rendre compte qu’ils veulent aussi atteindre un bel équilibre dans leur vie, et finiront par déserter les cabinets au profit des entreprises et des cabinets boutiques. Il serait bien pour les cabinets de moyenne et grande taille de prendre en considération ces facteurs et d’offrir un modèle d’affaires plus adapté que celles des heures facturables à n’en plus finir.

Jurizone: Que diriez-vous à des jeunes souhaitant suivre le même chemin que vous en affaires ? 

Marie-Eve Altur: Je leur dirais que tout est possible! Par contre, le domaine du recrutement juridique est assez bien desservi à Montréal et le marché est relativement petit. Pour ce qui est de se lancer en affaires, mon conseil principal serait de bien connaitre le domaine dans lequel la personne se lance. Par exemple, un avocat junior qui tente de bâtir une pratique sans avoir fait quelques années sous la supervision d’un avocat plus senior trouvera difficile de développer une clientèle car il n’aura pas encore atteint la crédibilité, ou n’aura pas encore acquis les connaissances approfondies pour desservir sa clientèle.

 

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